Do It Yourself

Je vous propose la lecture de ce très intéressant article de Polux262 qui décrypte le phénomène du « Faire soi-même », nommé Do It Yourself (DIY) en anglais (on line sur ce lien : http://www.diymania.fr/?p=1)

Bonne lecture !

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diyOn en parle, on confond le concept, mais qui connait vraiment le « DIY » acronyme de « Do It Yourself », littéralement « faites le vous-même » ?… On dirait une référence au « Just do it » de Nike, il y a quinze ans, ou le mode d’emploi d’Ikea ou une boite de Lego… Il est vrai que tout part du bricolage. Mais qui imaginerait que tant de gens, se reconnaissent dans ces trois lettres DIY, au point d’en faire le point focal de multiples engagements ? A l’aube des années 2010, avec déjà 300 000 auto-entrepreneurs en un an, une question peut se poser : Et si ce mouvement à la fois évident et informel était, selon la formule de Marx, « une révolution qui avance sur des pattes de colombes », le premier free model de l’ère numérique ? Décryptage, avec le sociologue Eric Donfu.

Dans « Qu’est-ce que la propriété » Pierre-Joseph Proudhon faisait preuve de lucidité :« le peuple-roi ne peut exercer la souveraineté par lui-même ; il est obligé de la déléguer à des fondés de pouvoir : c’est ce qu’ont soin de lui répéter assidûment ceux qui cherchent à capter ses bonnes grâces. Que ces fondés de pouvoir soient cinq, dix, cent, mille, qu’importe le nombre et que fait le nom ? C’est toujours le gouvernement de l’homme, le règne de la volonté et du bon plaisir. Je demande ce que la prétendue révolution a révolutionné ? »

LE DIY NE SERAIT RIEN D’AUTRE QU’UN SYSTÈME D ?

Le DIY peut-il vraiment être aujourd’hui considéré comme un mouvement informel pacifique sympathique et généreux ? A vous de juger par vous – même ! Pratique et évocateur pour toutes et tous, il mélange l’esprit des squats, des fanzines, du troc et des friperies avec les mémoires et les valeurs de la Beat génération et l’inventivité des enfants d’internet. Il est davantage une nécessité mise en perspective qu’un choix de vie, un système D collectif proposant à tous d’être acteur. Le but est de produire sa propre individualité, avec d’autres et en dehors de toute aliénation, pour atteindre une « richesse sans argent ». Fondamentalement « non profit », pour les loisirs comme pour le nécessaire, l’écho rencontré par le DIY inspire naturellement, et de plus en plus, les entreprises et les marques. Après tout, un slogan de Nike était bien « Just do it » !

UNE RECUPERATION COMMERCIALE EN COURS, MAIS CONTRARIEE PAR UN VENT DE LIBERTE

Mais si sa récupération commerciale est bien en marche, elle se fait en intégrant ses codes, en considérant notamment le consommateur comme un « demandeur de solutions », et même comme un « professionnel-amateur ». La culture du mode d’emploi, de la description objective des produits, du service après-vente et de la réparation y gagne. Comme ce Monsieur Jourdain, de Molière, qui faisait de la prose sans le savoir, tout le monde fait du DIY sans le savoir. Mais, même s’il n’a rien de révolutionnaire, ce mouvement, ou plutôt cet acronyme DIY traduit bien un phénomène de société.

Parallèle aux mouvements décroissants, il peut se reconnaitre dans cette volonté d’articulation entre l’individu et le collectif, et cette recherche de simplicité volontaire, qui remet en question le concept de croissance économique et ses mesures, comme le PIB. Proche de la pensée soixante huitard, ou de certaines thèses de l’Internationale situationniste, le DIY est même considéré par certains comme proche de l’anarchie. Mais, en réalité, le DIY n’a pas de théories propres autres que la débrouille individuelle et c’est sa force. Et il correspond, dans la société, à la fois à des tendances anciennes et à des concepts contemporains, à de multiples niveaux.

UN STYLE DE VIE EN PHASE AVEC INTERNET ET LES NOUVEAUX COMPORTEMENTS DES CONSOMMATEURS

Par nature, il s’inscrit déjà dans la révolution Internet, et son corollaire, la société en réseaux. Il peut aussi se reconnaitre dans le « journalisme citoyen » qui propose à toutes et à tous de réaliser ses propres articles, comme c’est le cas avec AgoraVox par exemple. Il est aussi en phase avec les réflexes des consommateurs, de plus en plus « hérissons », rétifs à la publicité commerciale, évaluant, comparant, testant de leur coté, de moins en moins fidèle aux marques. Il trouve aussi un écho dans ce mouvement de « retour à la nature » qui révèle les terroirs et pousse chaque année une centaine de milliers de Français à quitter la vie urbaine pour les campagnes, afin de changer de vie. Il accompagne la recherche de produits bio, la quête de sécurité alimentaire des aliments, tout comme l’attention portée au commerce équitable. Sur le plan de la mode, le singulier l’emporte désormais sur l’effet de mode. Jeans personnalisés, négligé chic, accessoire différenciant, les critères de la beauté changent. Dans la création artistique comme dans la musique, la notion de tremplins ouverts à tous, le levier du web, des vidéos de YouTube, changent la donne de la notoriété et le succès qui n’est plus le monopole des majors compagnies. Dans ce domaine, la chanteuse Lilly Allen fait figure d’exemple. Découverte sur le site communautaire MySpace, cette jeune artiste a vu son dernier clip visionné près de 10 millions de fois sur YouTube le 17 mars 2009….

QUI VA DE LA REDECOUVERTE DE LA CUISINE JUSQU’À L’AUTO-MEDICATION

Dans le domaine de la santé, l’auto médication progresse au point d’inquiéter le corps médical. Même dans la cuisine, le duo plat cuisiné four à micro onde perd du terrain au profit de la cuisine d’assemblage. La redécouverte de la cuisine comme espace de vie, l’augmentation du temps du repas pris en famille, la redécouverte des recettes aiguisent les recherches de produits sains. Enfin, sur le plan de l’activité et du travail, le DIY suggère de remplacer une activité salariée par sa propre activité socialement utile. Là encore, et même s’il ne s’agit que de revenus de complément, l’essor, en France, du statut d’auto-entrepreneur, que nous évoquions au début de cet article, y répond en partie.

QUI EPOUSE LE TOUT NUMERIQUE COMME LA VENTE DIRECTE DU PRODUCTEUR AU CONOSMMATEUR

Nous pourrions aussi évoquer l’essor de la photographie numérique, les blogs, le partage de vidéos, les logiciels libres, l’édition numérique, le journalisme citoyen sur Internet, la location de vélos, la rénovation des cages d’escaliers par les jeunes eux-mêmes, le fait de faire du sport plutôt que d’en rester spectateur, la mise en relation directe des producteurs aux consommateurs de fruits et de légumes…etc. Ces mutations constatées de la vie quotidienne et des pratiques sociales sont de plus amplifiées par l’impact de la crise économique, sur les moyens financiers des gens comme sur leurs perceptions des réalités et leur appréhension de l’avenir.

 ET N’A QU’UNE VÉRITÉ, CELLE QUE L’ON SE FORGE SOI-MEME

Dans ces conditions, le discours du DIY ne peut qu’être approuvé, surtout qu’aucune carte, aucune certification, aucun porte parole autorisé ne prétend prouver ou incarner une vérité. D’ailleurs, si on le considère comme un mouvement, nous observons bien qu’il est non organisé et évite déjà le piège propre aux cultures underground, c’est-à-dire cet élitisme qui enferme les adeptes dans des tribus qui vont jusqu’à s’affronter, au sens propre, ou figuré par des effets de modes éphémères.

QUELS LIENS AVEC LES PHALANSTÈRES, LE MOUVEMENT DES KIBBOUTZ OU LES HIPPIES ?

Car les origines du DIY sont multiples et ne peuvent être récupérées. Elles puisent dans l’histoire de l’humanité, s’inspire des savoirs des populations dites primitives, et pourrait même se retrouver à la fois dans les phalanstères de François Marie Charles Fourier (1772 – 1837), les remèdes de grands-mères, les cours d’économie domestique de Madame Millet Robinet, à la fin du 19ième siècle, le mouvement Scout ou les Kibboutz… En droite ligne, ce mouvement trouve pleinement ses racines dans une tendance du mouvement hippie, davantage que dans le mouvement punk comme certains le prétendent. Plus précisément, son acte fondateur est bien le « Whole Earth Catalog » lancé en 1968 par Stewart Brand, au sein de la communauté hippie de Bay Aera, aux Etats-Unis. Cette publication, réalisée avec les moyens du bord, un polaroïd et une machine à écrire, véritable cacophonie visuelle ou des conseils pratiques se mélangeait aux visions d’avenirs comme aux petites annonces. En vérité, sans le savoir, ce journal préfigurait l’ère l’internet. Catalogue pratique d’informations et de conseils pour tout faire soi-même au meilleur prix, le WEC va même s’étoffer au point de compter 448 pages en 1972. Cette date fut également sa dernière année, avec un million d’exemplaires vendus, et l’octroi du National Book Award….

UN MOUVEMENT DE CONTRE CULTURE

Plus qu’une naissance, il s’agit donc d’une renaissance, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis avec le nouveau millénaire et emporté par l’ère numérique qui est et va être son meilleur vecteur de diffusion. Le DIY (acronyme de « Dot It Yourself » littéralement « Faites le vous-même » en Français) est présenté comme un mouvement de contreculture, défiant le système marchand et le modèle capitaliste en lui opposant un mode de vie underground reposant sur le principe du « faire soi même » appliqué aux objets de la vie courante comme aux productions artistiques et intellectuelles. Il gagne aujourd’hui tous les secteurs de la vie quotidienne, comme l’alimentaire et l’habillement. Son modèle se présente comme une stratégie de survie en période de crise, et surfe sur les réactions de plus en plus vives face aux excès de la société de consommation qui apparaissent dévastateurs pour la planète comme pour la santé, comme le film « Home » l’a par exemple illustré.

POUR UNE AUTONOMIE ALIMENTAIRE, ARTISANALE, PÉDAGOGIQUE ET ÉCONOMIQUE

Les adeptes du DIY tentent de faire tout eux-mêmes. En cela, ils posent un acte d’économie, bien sûr, mais aussi d’indépendance. Ce mouvement non constitué se considère comme une alternative à la société d’ultra-consommation. Puisant dans des savoir-faire abandonnés comme dans les nouveaux potentiels numériques, à la frontière du bidouillage, de la personnalisation et de l’invention, le DIY s’appuie sur les valeurs qui fondent une totale autonomie alimentaire, artisanale, et pédagogique, mais aussi économique, écologique et politique. Considéré aujourd’hui comme l’une des matrices conceptuelles les plus influentes des cultures contemporaines, le DIY gagne chaque jour un peu plus de terrain médiatique, au point par exemple de représenter plus de 160 millions d’occurrences sur le moteur de recherche Google.

UN BRIC A BRAC CREATIF

Mais si le « Do It Yourself » irrigue les pratiques et les cultures ordinaires contemporaines, c’est bien en étant plus proche du « Just do It » de Nike que du « No future » des Punk. Mais il est vrai qu’il préfère de loin le piratage aux marques. Ses formes les plus agressives ont le visage de certains hackers du net – une minorité en réalité – aux virus de génie, ou de certains tagueurs du métro, au feutre et à la bombe un peu trop baladeurs. Ses formes les plus sociales s’appellent brico-labs, pour le bricolage comme pour les technologies libres, avec par exemple un « bricophone » ou téléphone mobile libre. Ce mouvemente est même à l’origine du projet d’une « machine à laver open source » pour soulager les femmes du tiers-monde qui lavent encore leur linge à la main.

AVEC DES DEBOUCHES TECHNOLOGIES ?

Et dans le domaine technologique, rien n’arrête le DIY. Initié à Bath, en Grande Bretagne, le mouvement RepRap, (Replicating rapid prototyper) propose par exemple d’ouvrir à tous l’accès à une imprimante 3D, un appareil permettant de construire des objets en plastique en trois dimensions à partir d’une image numérique et grâce à des fils de plastiques en fusion. Des machines de prototypage rapide de pointe, rare et hors de prix dans le commerce, et réappropriés par des « hackerspaces » temples de la débrouille et de l’open source, qui les mettent à disposition gratuite de tous, engagés comme ils le sont contre tous les « savoirs-propriétaires »…

UN MOUVEMENT QUI DEPASSE DESORMAIS SES MINORITES ACTIVES

L’impact du DIY dépasse déjà celui d’une minorité active. Les 170 millions de pages sur Google en sont un indice. Et sans organisation propre, ce mouvement se donne déjà des rendez-vous, de toutes sortes et de tous styles, ou les organisateurs et les participants se reconnaissent, souvent dans un esprit dadaïste. Le succès de Twitter, avec ses tweets de 140 signes par lesquels on glisse des liens – ou l’on tisse des liens – instantanément ne s’apparente-t-il pas aussi à cette culture du clic fait pour et par soi même ? Il faudra bien qu’un jour le réel rejoigne le virtuel et même le dépasse.

UN DÉCLIC POSITIF DES ENVIES DE FAIRE, LE PREMIER « FREE MODEL » DE L’ÈRE NUMÉRIQUE ?

Son message marque une inversion avec le « no future » des Punk, ou avec le style exténué des Beatniks, mais reste proche de l’utopie mobilisatrice autogestionnaire. A l’heure du « yes we can », le DIY se voit comme un déclic positif des envies de faire. Il invite chacun à créer, à s’ouvrir aux autres, à devenir son propre producteur et même à fonder son propre mouvement pour porter ses idées. Il rejoint donc tous les mouvements d’émancipation, et notamment le mouvement des femmes. En cela, il est bien un axiome créatif de, et dans, son époque. Libre et reconnu pour son sens propre, le DIY peut-il être considéré aujourd’hui comme le premier « Free model » de l’ère numérique ? Attendons de voir, mais, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous faisons toutes et tous du DIY, en l’ignorant !.

ET SI LE DIY ETAIT JUSTE UNE EXPRESSION ?

Peu importe la dénomination, en fait, seul compte la nouvel place du « sujet » dans l’organisation collective. C’est aussi ce que certains nomment la « démocratie participative », en réalité, un nouveau processus de délibération collective. En effet, chacun mesure bien que plus rien ne peut être imposé « par le haut » à « une France d’en bas ». L’individu est désormais plus libre mais en même temps plus contraint. C’est à lui de produire sa propre individualité, de forger son propre modèle, tout en veillant à sa réputation et en organisant son réseau. L’individualisme triomphant des années 80 a été relativisé et les individus composent entre solitude et communautés choisies. Le risque d’un repli identitaire est également perceptible dans le monde.

UNE NOUVELLE LUCIDITÉ, PAR L’INSTRUCTION ET L’ACCÈS AU SAVOIR

Pour notre part, nous pensons que ce qui caractérise la société actuelle, c’est d’abord une plus grande lucidité. Une lucidité d’abord due à l’élévation du niveau critique de l’opinion, par l’élévation du niveau scolaire. En un demi-siècle la proportion de titulaires d’un CAP ou BEP a triplé parmi les 25-34 ans et la proportion de bacheliers est passée de 4 % en 1950 à 64% en 2007. Mais aussi grâce à l’accès à l’information. Au 3ème trimestre 2009, 16,6 millions de foyers français, soit plus de 6 foyers sur 10 avaient accès à Internet, contre 14,4 millions un an avant (55,4% de la population), soit une progression de 2 202 000 foyers par rapport à 2008. Ce chiffre devrait continuer à augmenter. En Allemagne, 75% de la population était connectée en 2008, et 86% aux Pays-Bas, contre 62% en France. La révolution que nous connaissons est plus importante que celle de l’arrivée du télégraphe, car il avait alors fallu attendre le téléphone pour que tout le monde puisse l’utiliser. Et aujourd’hui, Internet est encore au stade du télégraphe…

UNE NOUVELLE ÉCONOMIE

La force et la vitesse de pénétration des NTIC s’expliquent par ce qu’elles sont en phase avec les transformations des modèles sociaux et culturels. Elles sont le produit et les instruments de ces mutations de la société, qui ont leur origines, non dans ces techniques nouvelles, mais bien dans le processus de modernisation de la société lui-même.

VERS LA RÉVOLUTION DE L’I-MODE

Dans une dizaine d’années, on peut s’attendre à ce que tous les grands centres urbains de la planète soient saturés de puces électroniques, des microprocesseurs intégrés dans les objets, les mobiliers, les immeubles, et communicant entre elles. Ces smartifact, cellules invisibles, permettront de coordonner des actions d’un bout à l’autre de la planète, mais aussi et surtout entre voisins. Chaque personne pourra ainsi relier des objets, des endroits ou des personnes à des contenus en ligne. C’est ce pouvoir social inédit qui fera les prochaines fortunes professionnelles, à partir de « business models » innovants.

ALORS, PAS DE PROGRÈS SANS CONSCIENCE ?

Ce débat sur le « DIY » pourrait au moins avoir un intérêt : Celui de placer le sens des actes, leur contexte et leur portée avant l’utilisation de toute nouvelle technique numérique ou technologique, quitte à les remettre en cause. Car, si les sondages peuvent faire courir certains derrière l’opinion, il serait grave qu’une société courre après les révolutions technologiques. Nous pourrions aussi nous demander si un mouvement de défiance vis-à-vis de l’hyperconsommation, et recherchant les réponses simple à des besoins exprimés, ne serait pas un bon filtre pour aborder ce 21ème siècle numérique. Alors, premier « free model » de l’ère numérique, ou tout simplement résurgence de vieux principes réactualisés, ce DIY, même au stade de l’expression, lance un débat trop rare aujourd’hui pour être négligé.

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